Subterfuge

     Pourquoi avoir travaillé sur le subterfuge ?
L’étrange besoin du faire semblant, le plaisir de la confusion du spectateur. Que vois-je ? Qu’est-ce ? FAUX/VRAI ? Ou s’arrête mon travail ? Où commence celui du spectateur ? Je suis celui qui met en place, facilite, enclenche le processus qui aura lieu dans l’esprit de l’autre. Mon travail, c’est de le diriger, de lui faire croire ce qu’il voit. Derrière, l’espoir fou qu’il plonge dans mon délire, qu’au travers de mes simulacres de vie, de mort, de gens, il se pose les questions que j’aurai voulu y cacher. Un jeu des différences où le but est que chacun trouve sept différences justement différentes.


Un besoin de jugement, d’avis, de critique, de juges tout simplement.


C’est dans cette idée de tromper que j’investie l’espace naturel, la nature, le parc avec mon papier. 100 fleurs tout rond faites de papier journal, plantées en plein janvier. C’est un travail avec trois points centraux. Un, conquête du territoire naturel par l’humain, qui ici remplace jusque la floraison. Deux, la fragilité de la réalisation, si sensible aux événements extérieurs. Trois, ce subterfuge. Je copie. Je trompe. Parce que tant qu’on ne s’est pas approché un maximum, tu ne verras jamais que mes roses sont artificielles.

Où t’emmener spectateur ?

 Que te dire ? Où en venir ? Tu es si demandeur. Tu veux tout voir en un coup d’œil, tu avales tout rond ce que je te donne. Tu ne mâches pas. Soit ça se voit, soit ça se voit pas. Je peux t’aider un peu, te dire les nuances dans tes plats, mais pas trop. Il faut que tu le voies, juste sentir ne suffit pas. Tu es gourmand. Comme je te comprends. Je suis comme toi, je veux voir plus et plus vite, on me donne une idée, un sujet, et déjà mille images défilent sur mes écrans. Je suis toi. Je suis le spectateur des autres. Une énième boulimique de l’image. J’ingurgite à grande vitesse n’importe quoi, n’importe quelle merde (même si je trouve du bon, je le verrai qu’à peine) et sans rien digérer, régurgite tout sur la toile, quelle qu’elle soit. Apparaît alors un amalgame à peine mélangé, confus que j’ose appeler culture ou référence. Et comme toi spectateur, j’en parlerai en experte à la première occasion. Alors j’aimerai avoir l’audace, l’orgueil pour espérer que tu perdes une minute de plus sur mon travail que sur celui d’autres. J’aimerai te faire voir un instant de plus ce que j’y ai caché, les messages qui m’ont animés, le travail que ce papier à bu, les inspirations puisées dans le travail d’autre illustres. Si tu savais comme j’aimerai que tu voies tout ça spectateur. Je te mettrai sur la voix, plus que nécessaire, te gaverai et te soûlerai de mes mots, de mes discours vaporeux. Peut-être même que dans cette orgie, tu n’en voudras pas, de mes mots. Peut-être qu’en vrai, mon travail te déplait, peut-être que tu le trouve mauvais, plat, voir, pire critique aux yeux de cet endroit, illustratif. Je prends, spectateur ; je prends tout ça car je suis toi et j’ai faim.

Echec

Parfois je ne t’emmène nulle part. J’échoue à te faire trouver le chemin. A trop me promener moi-même tête baisser je me suis perdu et tout n’a plus aucun sens. Pourtant je vois encore les brides de réflexions. Un début. Une fin. Et quelque part au milieu, la dilution.
Je prends un fait divers ; quelque chose d’amusant. La SNCF qui justifie le retard des trains par l’accumulation des feuilles d’automne sur les voies. Le 20minutes y accorde une double page. C’est vrai que c’est follement important tout ça. J’y réfléchis à ce sujet, je développe mes idées, et pourtant je virevolte sur un coup de tête. Sur une ligne. «Deux éthiopiennes ont été arrêté ce mardi à l’aéroport d’Amsterdam en tentant de faire passer 400 000 euro caché dans leur corps ». Une sorte de rapport pur de l’exploitation du corps par l’argent au pays de la prostitution. Je ne résiste pas et fonce. Je travaille sur la prostitution et l’art. Toutes ces peintures de prostitués aux regards froids, ces femmes nues, allongées, qui ne se cachent pas et qui vous toisent presque avec violence, ni fières, ni soumises. D’Olympe aux demoiselles d’Avignon. Je m’attaque aux photos. Photos reportages. Photos documentaires. Atget. Elles non plus ne se cachent. Elles n’ont pas non plus un sourire. Je trouve un manifeste sur la relation artistes-prostituées. J’avale des heures d’images à deux heure du matin. Puis je me décide pour les miennes. Je n’ai pas de  portiques de sécurité à deux heure du matin. Mais ce n’est pas très important je n’ai besoin que d’une silhouette qui évoque cette porte. Je  ne veux que des silhouettes qui se découpent de ce portique. Je veux des silhouettes de femmes, impersonnelles, reconnaissable (on se fiche de l’identité d’une prostituée), quelque chose d’aguicheur dans leur posture. Mais après quelques instants, elles se révèlent être dans des poses qui n’ont rien à voir. Des positions d’arrestation, les mains dans le dos, les mains jointes au-dessus de la tête, de dos. Finalement je projette ces photos dans la Vitrine, où je voudrais rappeler le quartier rouge d’Amsterdam.
Finalement mes idées, même si elles existent, elles ne ressortent en rien dans mes photos. Pour m’achever, moi, marionnette aux deux heures de sommeil qui ne tient que par ses fils, un argument de taille : mes photos au final auraient pu être prises par un garçon pour faire entrer sa petite amie sur son blog.

Le pire dans tout ça c’est que c’est vrai. Mes photos ne sont pas d’une esthétique folle, et ne parlent pas d’elles même. Visiblement même si je parle pour elles, elles, restent muettes.

I'm fine. Ou le mensonge conventionnel

           Ça commence avec une simple question matinale. Ça va ? Et répété mille fois par jour ça finit par cette série d’affiches. « Bonjour, ça va ? » est une norme sociale, quelque chose qu’on dit tous parce que c’est ce qu’il faut dire. Parce qu’on vous regardera mal si vous ne le dites pas. Mais en toute honnêteté, qui s’intéresse à ce qu’on nous répond. 

La moyenne que j’ai établie après avoir enregistré plus d’une centaine de réponses veut que 81 % des gens interrogés répondent automatiquement « oui » et 19% « non ». Le découpage de ces réponses permet de voir qu’il y a très peu de réponses originales. Pour les « oui », on peut les répartir ainsi :

Les « non » pourraient se relèveraient presque intéressante (si on retire les 67% de « non, j’ai mal dormi ») si dès qu’on obtenait un semblant de vérité (traduit généralement par « non, j’ai des problèmes chez moi, avec mes parents, avec ma copine ») les gens ne s’arrêtaient pas immédiatement après. Parce qu’on vous regardera mal si vous ne le faite pas. Le terme de mensonge conventionnel prend ici tout son sens. Mentir, c’est mal. Mais on s’enfiche si c’est pour laisser les autres en paix avec leurs propres problèmes.

J’ai cherché dans l’esthétique de l’affiche publicitaire, de l’affiche de prévention, voir limite du t-shirt fashion, et de l’artiste sur qui est basé ce travail (à savoir John Giorno) je retiens essentiellement une idée : opposition entre texte et image. Pour le visuel de mon projet j’ai donc tapé d’abord et avant tout le selfie : je te montre comme je m’amuse bien justement parce que je m’ennuie et que j’ai du temps à tuer. Des photos donc de personnes tout sourire ou bouche en cœur, rehaussé des troubles qui touchent chacun d’entre eux. Boulimie mentale, anxiété, anorexie mentale, bipolarité, hyperactivité. Puis j’inverse. Le texte, les mots rassure sur un état plus que douteux, automutilation, transsexualité.

Une autre chose que je souhaitais soulever par ce travail, c’est un problème porté essentiellement par les réseaux sociaux en ce moment, essentiellement sur twitter et tumblr. La banalisation des troubles mentaux. Certes de nombreux groupes de soutien aux personnes en guérison se sont créés sur la toile, mais plus nombreux sont les blogs qui rendent « cool » la bipolarité. A mes yeux le pire de tout reste le phénomène Thinspiration (Thinspo pour les intimes). Majoritairement des filles de 14 à 22 ans qui se soutiennent H24 dans des modes de régimes frôlant les mouvements pro-ana (pro-anorexie), où on trouve photos, repas, soutient, poids, au fond des modes très réfléchis et très efficaces pour perdre beaucoup trop de poids.


Pour vraiment travailler ce sujet, je devrais sans doute emmener ce projet plus loin, sur la toile sans doute, pour batailler directement avec les lionnes du net.